La photo de ma mère

















 Je ne sais pas ce qui m’a fascinée en premier, le regard noir, dépité ou la petite boucle dans la nuque ou encore l’étoile, la coiffure et le vêtement d’un autre temps. Qui est cette jeune femme qui semble déjà porter en elle tout l’horreur à venir ? Pourquoi cette photo, à quelle occasion fut-elle prise, à quoi devait-elle servir ?
  Aussi longtemps que je me souvienne, ce portrait qui me hante se trouvait parmi des photos qui n’avaient pas trouvé leurs places dans les albums. Le tout jeté dans une grande boîte en carton sans couvercle, rangée au fond de l’armoire du salon familial. Des sépias écornés de proches parents habillés de leurs plus beaux atours posant dans des mises en scènes très recherchées côtoyaient d’autres visages venus d’époques inconnues de moi. A chaque fois que je fouillais dans ce capharnaüm, le regard sombre de ma mère réapparaissait. J’entrai en possession du cliché le jour où mon père décéda. Quatorze ans après la mort de ma mère, j’ose finalement affronter ce visage tragique.
  J’ai fait un grand nombre de portraits de ma mère, mais c’est l’image de la femme d’alors qui pour moi ressemble le plus à la vraie ou du moins à ce que je devine être sa personnalité réelle. Sur toutes les autres photos, elle apparaît presque toujours souriante, un peu empruntée.
  Sa vie ne fut pas une valse légère. J’avais beau lui demander des détails sur les événements qui marquèrent son existence, ses réponses restaient toujours assez vagues et énigmatiques me semble-t-il ou peut-être ne voulais-je pas entendre... Je ne saurai jamais à quelle fin le petit cliché fut réalisé et pourquoi elle avait posé avec l’étoile cousue sur son vêtement. Ma mère fut dénoncée. Arrêtée un an avant la fin de la guerre par la Gestapo et déportée à Auschwitz.
   Tant d’années plus tard, j’ai voulu rendre un hommage à la femme qu’elle fut. Sur son lit de mort, elle me confia ne pas regretter de s’en aller. Ma mère est décédée des suites d’une longue maladie...



                                                          Irène de Groot - 2008